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Voyages volcaniques sur la ceinture de feu du Pacifique


        Aurère, Îlet à Malheur, Îlet à Bourse, Cayenne, Grand Place, La Nouvelle, Les Lataniers, Les Orangers, Roche Plate et Marla sont les principaux îlets ou hameaux du cirque de Mafate, le plus sauvage des trois grands cirques du massif du piton des Neiges à La Réunion. S'étirant sur quatorze kilomètres selon l'axe nord-sud, ce cirque, uniquement accessible à pied ou en hélicoptère, est creusé de profondes vallées séparées par deux crêtes infranchissables. Partout, coulent des rivières – la principale est celle des Galets – et des torrents impétueux qui lors de la saison des pluies, participent activement à l’érosion en provoquant éboulements et ravinements. Seuls les pitons résistent et l'horizon tout entier est un océan de pitons...
        Ce soir, à Cilaos, après quinze jours passés dans le cirque, je prends quelques notes sur mon carnet et je termine par cette recommandation : « Mafate fait incontestablement partie des contrées lointaines qui possèdent un charme particulier, presque envoûtant : y retourner absolument ! ». Je m’offre ensuite un repas traditionnel en optant pour le cari porc boucané accompagné de riz et de haricots. Les réjouissances se poursuivent avec la douceur de notes sucrées que procure une mousse aux fruits de la passion. Elles s’achèvent avec le « pousse-café » local, du rhum arrangé à la banane. Ensuite, la nuit prend la saveur de l’attente et bercé par le tambourinement de la pluie, je m’endors en pensant aux merveilles à venir…
Au petit matin, les nuages de la veille sont partis et la lumière projette sur les crêtes alentours des reflets roses pastel. Je pars à pied vers l’une des montagnes qui fait la réputation de l’île : le piton des Neiges (3 070 m). L’ascension n’oppose pas de difficultés et la dénivelée est vite avalée. Sur le toit de la Réunion, j’installe ma tente, l’ouverture tournée vers l’est, sur le levant pour que ma maison de toile soit ensoleillée dès les premiers rayons du matin. Après une nuit courte, je m’extirpe de mon duvet et sors affronter l’aube glaciale. Je me réchauffe au liquide brûlant d’un café en regardant le soleil se hisser peu à peu au-dessus de l’horizon, dans une douce explosion de lumière. D’abord timide, la chaleur qu’il prodigue devient rapidement agréable. Là-haut, les vues que la montagne offre qu’elles soient lointaines ou proches, dans la ligne d’horizon ou plongeantes sont toutes magnifiques. Après une longue période de contemplation, je reprends ma marche vers l’autre piton célèbre de l’île, celui de la Fournaise (2 632 m), plus bas et moins pacifique. Lorsque j’atteins son sommet, je suis frappé par l'immensité du cratère vomissant la fumée à pleins bords. C’est lui qui établit la communication avec les couches souterraines bouillonnantes. C’est par lui que s’expriment parfois les forces prodigieuses de la nature lorsqu’il exhibe à la vue de tous ses éruptions, qu’il souffle du soufre, qu’il rugit comme un monstre et qu’il vomit des torrents de lave. Je reste des heures à admirer cette bouche béante à ciel ouvert. C’est l’une des plus actives de la planète. Elle occupe probablement le premier rang mondial par la fréquence de ses éruptions : depuis 1650, date des premières traces écrites, près de trois cent éruptions ont été enregistrées. La plupart se produisent dans « l'enclos » – zone complètement inhabitée autour du volcan – ou dans les cratères sommitaux de manière effusive. Parfois, elles débordent de l'enclos et touchent des zones habitées comme en 1977 où les coulées ont détruit une partie du village de Piton Sainte-Rose.
        Le lendemain, je profite de mon passage à Bourg-Murat pour visiter la cité du Volcan créée en 1992 à l’initiative du célèbre couple de volcanologues Maurice et Katia Krafft qui ont largement étudié les éruptions du piton de la Fournaise.
À l’intérieur de la cité, je fais un voyage dans les entrailles de la Terre et dans mes souvenirs. Au fil de la visite, je redécouvre des notions qui étaient restés graver dans mes cahiers de sciences naturelles du lycée : la tectonique des plaques, les phénomènes de subduction, la formation des caldeiras, la théorie de la dérive des continents de Wegener… J’apprends que la lave est rouge sombre jusqu’à 900°C, rouge claire de 900°C à 1050°C, orangée de 1050°C à 1150°C et jaune au-delà.
Dans une grande salle, je revois sur une maquette la structure interne du globe divisée en couches concentriques qui se maintiennent selon le principe de la flottaison : si l’on verse de l’huile, de l’eau et du sirop dans un verre, les trois liquides s’arrangent selon trois couches superposées, le liquide le plus dense se retrouvant au fond du verre. Selon ce même principe, à l’intérieur de notre planète, se superposent, du centre vers l’extérieur, le noyau interne, le noyau externe, le manteau et la croûte océanique (quelques kilomètres d’épaisseur) ou la croûte continentale (quelques dizaines de kilomètres d’épaisseur) qui flottent sur le manteau à la manière d’un iceberg sur l’océan. Ces croûtes sont découpées en plaques de grande dimension connues sous le nom de plaques lithosphériques. Ces plaques se déplacent lentement à la surface du magma sous-jacent, beaucoup plus chaud et plastique. Lorsqu’elles entrent en collision, l’énergie est libérée sous forme de tremblements de terre et d’éruptions volcaniques.
Dans une petite salle, une série de croquis illustre le film d’une éruption volcanique : une cheminée du volcan est relié à une chambre magmatique qui communique avec le manteau supérieur et contient du magma ou roche en fusion ; quand ce magma est très visqueux, il finit par boucher la cheminée ; pendant ce temps, dans la chambre magmatique, l’activité continue et des bulles de gaz se forment ; elles remontent vers la surface en poussant le magma ; ces remontées s’effectuent par saccades et s’accompagnent généralement de petits tremblements de terre ; le cône volcanique se déforme et gonfle ; lorsque la pression atteint une valeur seuil, elle fait exploser le bouchon de la cheminée ; le sommet du volcan est alors pulvérisé et une énorme quantité de poussières, de débris de roches incandescentes et de gaz est projetée dans l’atmosphère…
Dans un couloir qui relie deux salles, les roches volcaniques émises lors des éruptions sont posées sur des étagères suffisamment larges pour accueillir de gros spécimens : ce sont des basaltes (ils représentent 90% des roches volcaniques), des rhyolites, des andésites, des obsidiennes, des pierres ponces… et même des cheveux de Pelé.
Enfin, dans une grande salle, sur tout un pan de mur, une immense carte présente la « ceinture de feu » du Pacifique. Je reste de longues minutes devant cette carte qui allume des étincelles dans mes yeux de scientifiques et de voyageurs : « ceinture de feu », la magie des mots opère… Je m’imagine traverser à pied cette longue guirlande de régions volcaniques qui s’étire sur 40 000 kilomètres : depuis la Terre de Feu, elle remonte le continent sud-américain le long de la cordillère des Andes (Argentine, Chili, Bolivie, Pérou, Équateur, Colombie), traverse l'Amérique centrale (Costa Rica, Nicaragua, Salvador, Guatemala), longe les zones côtières de l'Amérique du Nord (Mexique, États-Unis, Canada) jusqu'en Alaska, traverse l’archipel des îles Aléoutiennes sur la mer de Béring, visite l’extrême nord-est de la Sibérie dans la péninsule de Kamtchatka (Russie) avant de rejoindre les archipels d’îles de l’océan Pacifique (Japon, Philippines, Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Vanuatu, Tonga) et de terminer sa course sur la « Terre du long nuage blanc » (Nouvelle-Zélande). C'est sur cette ceinture de feu bouillonnante que se produisent la plupart des tremblements de terre et des événements volcaniques dans le monde. Et c’est une ceinture suffisamment vaste pour que s’y perde n’importe quel chercheur de merveilles…
        De la vision de cette carte, est né ce projet de voyages volcaniques autour du monde le long de la ceinture de feu du Pacifique, véritable creuset de merveilles où la nature est si belle qu’elle paraît parfois surnaturelle.
        

Voyages volcaniques, c’est l’histoire de sept voyages sur la ceinture de feu pour découvrir des régions couvertes de volcans, parmi les plus puissants de notre planète :
        - voyage sur les géants de l’Atacama (Chili),
        - voyage à travers la cordillère Royale (Bolivie),
        - voyage sur les Hautes Terres du Guatemala,
        - voyage dans le temps: de l’Empire byzantin vers l’an 500 au volcan Popocatepl aujourd’hui (Mexique),
        - voyage dans les grands parcs de l'Ouest américain jusqu'au cœur du Yellowstone, dans le wilderness du Wyoming (États-Unis),
        - voyage littéraire avec Julie Boch et Émeric Fisset au Kamtchatka, le paradis des ours et des volcans (Russie),
        - voyage sur les terres fumantes du pays Maori (Nouvelle-Zélande)


Dans les grands parcs de l'Ouest américain jusqu'au cœur du Yellowstone (États-Unis)

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        Au XXIe siècle, les États-Unis n’ont toujours pas adopté le système métrique. Les distances sont calculées en pouces, pieds, yards et miles. L’essence se jauge en gallon américain. Les masses sont exprimées en onces, livres et tonnes. La température est donnée en degré Fahrenheit. Aujourd’hui, sous une chaleur accablante et un thermomètre qui affiche plus de 100°F, un ranger me conseille d’emporter quelques livres de nourriture et un gallon d’eau pour parcourir les 15 miles qui me sépare du barrage Hoover, un barrage voûte-poids construit entre 1931 et 1936 sur le fleuve Colorado, à la frontière entre l'Arizona et le Nevada. Avec une hauteur de 726.4 pieds, une longueur de 1 244 pieds, des largeurs à la base et à la crête respectivement de 660 pieds et 45 pieds, son volume est de 3 250 000 yard-cube ! Il retient un volume d’eau de 28 537 000 acre-pied !
Cette situation ne risque pas d’évoluer de sitôt, la conversion au système métrique étant considérée comme une tentative d’imposer une réglementation mondiale aux Américains épris de liberté. La liberté, la statue de la Liberté, et puis tous ceux pour qui la liberté est devenue un véritable statut, une raison d’être, une façon de vivre : ce sont les mythiques « bikers » sur leurs magnifiques Harley Davidson « Je n'ai besoin de personn' en Harley Davidson, Je n'reconnais plus personn’ en Harley Davidson, J'appuie sur le starter, Et voici que je quitte la terre, J'irai p't'être au Paradis, Mais dans un train d'enfer (1) ». Ces bikers sillonnent les routes, en bandes, les cheveux dans le vent! Ce sont les cow-boys des temps modernes, les dignes héritiers de ces hommes qui parcouraient, à dos de cheval, les étendues démesurées du Far West avec ses décors grandioses immortalisés par les westerns et ses acteurs légendaires : John Wayne, Kirk Douglas, Steve Mc Queen, James Coburn, Yul Brynner, Burt Lancaster, Charles bronson, Gary Cooper.... « On voyait Gary Cooper, Qui défendait l'opprimé, C'était vraiment bien l'enfance, Mais c'est la dernière séquence, Et le rideau sur l'écran est tombé (2) ».

        Derrière le rideau, le minéral règne en maître : le couteau du temps a laissé sa marque dans la roche, comme disent les indiens. L’érosion a sculpté des formes étranges, véritables « monuments » qui forment des paysages extraordinaires. Ce sont les grands parcs de l’Ouest américain, l’ouest de toutes les fascinations. Je ne sais pas trop où il commence. Seule certitude, le soleil se lève dans mon dos et se couche devant mes yeux depuis mon départ de Denver par la route nationale 70. Je file vers l’ouest, j’y vais de mon plein gré. Justement, le grès est l’artiste de la région. Il ne mérite pas la plate définition du Petit Larousse : « roche sédimentaire formée de grains de sable réunis par un ciment siliceux ou calcaire. » Mieux vaut s’en référer à Victor Hugo qui écrivait dans ses carnets de voyage : « le grès est la pierre la plus amusante et la plus étrangement pétrie qu’il y ait. Il est parmi les rochers ce que l’orme est parmi les arbres. Pas d’apparence qu’il ne prenne, pas de caprices qu’il n’ait, pas de rêve qu’il ne réalise. Il a toutes les figures, il fait toutes les grimaces. Il semble animé d’une âme multiple. Pardonnez-moi ce mot à propos de cette chose. Dans le grand charme du paysage, le grès joue un rôle fantasque ; quelquefois grand et sévère, quelquefois bouffon ; il se penche comme un lutteur, il se pelotonne comme un clown ; il est éponge, pudding, tente, cabane, souche d’arbre… »
Je quitte la route nationale 70 à Cisco, dans l’état de l’Utah et me dirige vers le sud le long du mythique Colorado. Long de deux mille trois cent trente kilomètres, ce fleuve prend naissance sur le mont Richthofen (3 946 m), le point culminant des montagnes Never Summer, dans les Rocheuses et se jette dans le golfe de Californie, au Mexique. Le vent sur le fleuve fait des rides éphémères tandis que je dresse mon campement sur un léger surplomb, au-dessus du cours d’eau, face à l’imposant et majestueux spectacle de dizaines de formations rocheuses spectaculaires, fièrement dressées dans un ciel mauve et or. Je m’endors dans un endroit baigné par le calme alors que dans ma tête retentissent les cris farouches des indiens et le clairon de la cavalerie….
Au petit matin, la lumière accroche ma toile de tente. Dehors, l’air est revigorant. Je poursuis mon périple vers les Fisher Towers, des tours rocheuses qui portent le nom d’un mineur qui vivaient à leurs pieds dans les années 1880. Un sentier se faufile entre les terrasses et les ravins étroits au milieu d’une douzaine de monolithes rouges sculptés par le vent et l’eau. C’est un véritable musée pétrifié à ciel ouvert. En fin d’après-midi, j’arrive à Moab. Cette ville est la capitale touristique de la région. C’est le point de départ des descentes en raft du Colorado et depuis quelques années, le « temple » du VTT. Mais les Américains préfèrent leurs gros pick-up. Ils restent encore fidèles à ce type de véhicule (dont la première version date de 1925), pourtant très gourmand en énergie. Leurs plaques d’immatriculation sont décorées d’une magnifique arche, une œuvre du grès, sans doute une manière de rappeler que l’Utah est surtout et avant tout le pays des Arches, ainsi baptisé parce qu’il en abrite plus d’un millier. Situé tout près de la ville, entre 1 200 et 1 700 m d’altitude, le parc national des Arches compte quelques-unes de ces arcades naturelles voûtées dont la célèbre « Delicate Arch ». Elle a connu par le passé plusieurs appellations moins poétiques comme « culotte d’institutrice », « culotte de vieille fille » ou encore « jambières de cow-boy ». Son âge est estimé à soixante-dix mille ans et ses chances de survie à dix ou quinze mille ans. Une autre arche extrêmement fine, « Lanscape » est remarquable par sa taille : elle s’étend sur quatre-vingt-treize mètres. Si les arches sont les reines, il doit y avoir des rois. Ce sont les canyons du parc national de Canyonlands. « Murailles érodées, tables à vifs des mesas, pleurant un invisible sang, profonds ravins ou crevasses striées et ciselées, éboulis, pierrailles : il y a là tout un chaos de pierre que l’eau, patiemment, continue de déliter et grignoter » (3). Le parc comprend trois grandes zones : le plateau d’Island in the Sky qui offre les panoramas les plus spectaculaires, le Maze ou « labyrinthe » qui s’apparente à un dédale inextricable de canyons et enfin, les Needles ou « aiguilles » qui dressent vers le ciel des flèches rocheuses étroitement espacées. Au cœur du parc, se joignent deux fleuves, la Green River et le Colorado, encaissés dans de profonds canyons. Je parcours ces deux parcs à pied deux pendant plusieurs jours, sur des sentiers bien entretenus et balisés qui permettent de s’approcher au plus près des arches, des dômes, des falaises, des flèches, des buttes et des mesas. Je m’émerveille devant ces formations rocheuses d’une extrême variété où la Nature est si belle qu’elle paraît presque surnaturelle et je profite de l’ombre qu’elles prodiguent pour m’offrir un peu de répit tant la chaleur est étouffante. Même les serpents se réfugient parfois dans les toilettes du parc pour profiter de la fraîcheur du carrelage posé sur le sol… et quand on souffre d’ophiophobie, c’est un véritable traumatisme !
Je reprends donc la route, un peu traumatisé. D’abord, la nationale 191. Moab, Monticello, Bluff. Puis la nationale 163. Mexican Hat et enfin, à la frontière avec l’état de l’Arizona, les mesas et buttes-témoins de Monument Valley, le site par excellence des décors de western. Harry Goulding et sa femme Leone (dont le surnom était Mike), tous deux commerçants de moutons, furent les premiers Blancs à s’installer sur ces hauts plateaux en 1923, créant un comptoir commercial ou « trading post » et plus tard, une auberge. Ils convainquirent John Ford de venir y tourner ses films : L’automne du Cheyenne, La Prisonnière du désert, Fort Apache ou encore Rio Grande. Dans les vastitudes de ces décors grandioses et sauvages, où la roche rouge prend des formes curieuses, extravagantes ou fascinantes, vivaient les Navajos. Ce peuple amérindien est connu pour ses peintures de sable de différentes couleurs. Aujourd’hui, bien qu'il existe des logements modernes dans la réserve, nombre d’entre eux continuent à construire les hogans traditionnels et à y vivre. « Le choix des matériaux n’est pas primordial, mais la forme est obligatoirement ronde. Cette forme reflète la vision du monde qu’ont les Navajos : un monde circulaire comme le soleil et la lune, et cyclique, comme le mouvement des saisons. C’est par rapport aux quatre points du cercle universel que sont l’est, l’ouest, le nord et le sud que s’organisent les déplacements dans le hogan. La porte s’ouvre toujours à l’est (1) ».
Après une balade sous une chaleur torride dans ses décors qui ont bercé mon enfance à travers les westerns, je reprends la route vers l’ouest. Les nationales 163, 160 et 98, Kayenta, Tsegi, Kaibito, Page… et enfin, le canyon de l’Antilope ou « Antelope canyon » où deux gorges profondes et étroites – parfois ce ne sont que quelques centimètres qui séparent les parois opposées – s’illuminent de toutes les nuances de rouge et d’orange au gré de la course du soleil : le photon donne le vrai ton à la roche ! Plus loin, apparaît de façon quasi-surnaturelle le bleu du lac Powell, un immense lac artificiel créé sur le fleuve Colorado. Il porte le nom du major John Wesley Powell qui, en 1869, fut le premier à descendre le fleuve jusqu'à l'océan Pacifique au terme d'un périple meurtrier qui a couté la vie à la moitié des membres d'équipage. Long de près de trois cent kilomètres, le lac est barré par le barrage de Glen Canyon, en aval duquel se trouve le Horseshoe Bend, un spectaculaire méandre du fleuve Colorado en forme de fer à cheval. Ensuite, le cours d’eau poursuit sa course à travers les canyons Glen et Marble avant d’atteindre le Grand Canyon. L’endroit est spectaculaire, les points de vue sont remarquables mais trop de restrictions, trop d’yeux, trop de monde. Et trop, c’est trop alors je continue ma route et me retrouve au barrage Hoover. Les quelques semaines passées aux États-Unis m’ont familiarisé avec le système d'unités impériales utilisé dans le pays. Je commence à convertir les unités, non sans pester. Le barrage Hoover est donc un barrage voûte-poids construit entre 1931 et 1936 sur le fleuve Colorado, à la frontière entre l'Arizona et le Nevada. Avec une hauteur de 221,3 m, une longueur de 379,2 m, des largeurs à la base et à la crête respectivement de 201,2 m et 13,7 m, son volume est de 2,5 millions de m³ ! Il retient un volume d’eau de 35,2 milliards de m³ ! Voilà pour la statistique en unités du système international… La construction du barrage exigea la présence de milliers d'ouvriers qui durent travailler dans des conditions parfois très difficiles : 111 d'entre eux périrent.

        Mon « road trip » se termine dans la région du Grand Canyon, l’un des exemples d’érosion parmi les plus spectaculaires de la planète. Ici, les marcheurs, les contemplatifs et les amoureux de la nature sont à la fête tant les paysages sont merveilleux avec les fameuses strates de roches de couleurs rouille et ocre qui forment les parois de la profonde entaille. La randonnée au fond du canyon est une remarquable expérience pour prendre conscience de l’immensité du canyon et de sa complexité. Malheureusement, ce qu’elle a gagné en popularité, elle l’a perdu en silence, ce précieux allié et ami de la contemplation. Il y a des gens, beaucoup trop de gens à mon goût et la plupart se déplace bruyamment. En descendant par le sentier balisé, je croise beaucoup de randonneurs – si le terme peut s’employer ainsi tant ils paraissent à la peine – qui montent en file indienne. Leurs expirations profondes scandent le rythme de leurs pas ou de leurs mécontentements. La tension est parfois palpable au sein des groupes : certains grimacent, d’autres se plaignent et il y a ceux qui jurent…

        Quelques semaines plus tard, à la fin de l’automne, je me retrouve à Jackson, dans le Wyoming, à l'extrême sud du parc national du Grand Teton. Ici, règne une ambiance de western. Je m’attends à chaque instant à voir un cavalier solitaire avancer prudemment, le doigt sur la gâchette, dans la rue principale de la ville balayée par le vent. Je l’imagine laisser son cheval à une barre d’attache, je le vois entrer dans le saloon bruyant et animé par un pianiste diabolique et j’entends les balles de revolver siffler dans l'air… Je quitte Jackson et j’avance vers le nord le long de la rivière Snake, dans la vallée de Jackson Hole ou Trou de Jackson, du nom d’un trappeur de castors. Ici, au début du XIXe siècle, d’après les récits de l'expédition de Lewis et Clark (2), vivaient les tribus amérindiennes des Nez-Percés et des Shoshones. « À cette époque, à la suite de premiers contacts avec les Européens, notamment des trappeurs français, les premiers chevaux avaient été introduits dans la vallée, modifiant ainsi profondément le mode de vie des Amérindiens pour plusieurs décennies avant que ne s'installent les premiers colons européens (3) ». Sur la rive droite du cours d’eau, s’élance vers le ciel le Grand Teton et ses 4 197 m. Tout autour, des dizaines de sommets dépassent les 3 600 m d'altitude, des glaciers – Schoolroom, Teton, Middle Teton et Skillet – dont certains ont une épaisseur de glace de près de mille mètres résistent encore un peu au réchauffement climatique, des éboulis calcaires sont couverts de fleurs aux couleurs chatoyantes, d’étroites vallées verdoyantes renferment de petits lacs glaciaires aux eaux vert émeraudes ou turquoises et abritent de grands herbivores. Ici, la vie sauvage s’épanouit et se perpétue. Je me plais à gambader dans ces montagnes en me prenant pour le célèbre trappeur David Edward Jackson. Je m’imagine dans une nature redevenue intacte. Originelle. Je m’enivre de paysages réels à l’heure où la plupart des gens s’hypnotisent d’images virtuelles. Sac sur le dos, j’arpente les montagnes avec pour seul compagnon mes cinq sens. Toute la journée, j’écoute attentivement chaque bruit, j’observe le plus discrètement possible, je touche, je sens, je suis les traces fraîches… Et tous les soirs, alors que des reflets pastel, orange et roses se disposent sur les crêtes, je consigne les événements de la journée. Aujourd’hui : marché pendant six heures, traversé plusieurs ruisseaux à gué, croisé personne, vu des écureuils, des cerfs et un wapiti… En quelques jours, j’ai la chance d’apercevoir quelques-uns des grands herbivores du massif mais aucun prédateur, certainement trop malin pour un aussi piètre trappeur !

        Après cette petite digression, je repars vers le nord. C’est aux premiers frissons du jour, dans une prairie à l’herbe ocre et détrempée par une brume épaisse, que j’aperçois pour la première fois un troupeau de bisons. « Le bison, le symbole de l’Amérique, le roi incontesté des Grandes Plaines, que rien ne pouvait arrêter quand il déferlait, furieux, en troupeaux vastes comme la mer, et le sol, alors, tremblait sous ses sabots… Pas un trappeur, pas un explorateur qui n’ait été frappé d’une sorte d’effroi au spectacle des bisons traversant la Prairie : la puissance même du wilderness(4) ». Il faut dire que ces herbivores peuvent mesurer jusqu’à deux mètres au garrot et peser plus de neuf cent kilogrammes. Emblème de l’histoire territoriale des États-Unis, les bisons sont présents sur l’ensemble du territoire ou presque. La plupart ont été croisés avec d’autres bovidés d’élevage, sauf ici. Ici, ils sont de pure race. Ici, c’est le Yellowstone... Créé en 1872, ce parc national est le plus ancien parc national des États-Unis et probablement le plus renommé. Il attire chaque année près de quatre millions de visiteurs. La plupart viennent dans le cœur du wilderness du Wyoming au cœur de l’été pour profiter de sa faune incomparable et surtout de ses très nombreuses manifestations géothermiques. Pour éviter la foule et la promiscuité des familles, j’entre dans le parc au mois d’octobre. À mon arrivée, les feuilles de tremble commencent à tomber, la neige poudre de blanc les sommets des montagnes et certaines routes d’accès au parc sont fermées. La nature bascule doucement vers l’hiver et se prépare à accueillir le blizzard et le froid. Pour profiter pleinement des lieux et espérer surprendre la faune sauvage, je me déplace à pied. Je prends un petit sentier et l’aventure commence loin de la Grand Loop Road, cette route panoramique ou scenic drive de deux cent soixante-huit kilomètres qui propose de visiter le parc sans jamais sorti de sa voiture. Je découvre des lacs solitaires. Je traverse des vallées isolées. Je gravis quelques sommets débonnaires. J’écoute le gazouillis des oiseaux qui rompt le son monotone du vent et je regrette de ne pas être assez naturaliste pour identifier les espèces aperçues. Je photographie de grands herbivores qui se laissent approcher facilement. Je suis surpris par leur indolence. Je quitte parfois les sentiers pour emprunter les chemins et les passerelles aménagées qui mènent au plus près des curiosités naturelles : ce sont les fameux phénomènes géothermiques du Yellowstone. Partout, des panneaux rappellent que la vapeur surchauffée et les eaux bouillantes sont très dangereuses : toute l'eau qui sort des geysers, qui stagne dans les piscines ou « pools », la vapeur d'eau qui sort des fumerolles et la boue des « mudpot » sont à plus de 60°C parfois même à 90°C. J’observe les colonnes de nuages gazeux du bassin Black Sand Geyser qui montent dans le ciel. Les émanations sulfureuses émises détruisent la végétation. Tout autour, les arbres sans écorce ni feuilles sont ébouillantés et pétrifiés. Décor lunaire. Le long de la rivière Yellowstone, j’écoute les évents de boue de Mud volcano « raccordés très profondément au nombril brûlant de la terre » : ils hoquètent et éructent sans discrétion. À Artist Points, près du canyon de Yellowstone, je me plais à distinguer les couleurs des grandes plaques rocheuses déposées sur le flanc de la montagne : c’est une véritable palette de peintre avec du rouge, de l’ocre, du vert, du violet, de l’orange et surtout du jaune. Ce sont les trappeurs franco-canadiens qui, frappés par la couleur jaune prédominante des roches, appelèrent cet endroit « le pays des roches jaunes » ce qui fut traduit par Yellowstone. Je m’attarde dans le bassin Norris Geyser avec ses nombreux geysers. Ce sont des sources d'où jaillissent de façon intermittente de l'eau chaude ou de la vapeur d'eau avec dégagement sulfureux. J’observe attentivement un de ces geysers. Il est petit mais très actif : il fait jaillir une fontaine d’eau haute d’une dizaine de centimètres environ toutes les trois minutes. Dans ce bassin, se trouve également le Steamboat Geyser ou « geyser-bateau à vapeur » : c’est le plus grand geyser actif au monde avec des jets qui s’élèvent à plus de cent mètres. Plus loin, Old faithful, littéralement le « vieux fidèle », est un geyser qui projette un énorme panache de vapeur à intervalles réguliers, environ toutes les quatre-vingt minutes et à une hauteur de près de quarante mètres. À Mammoth Hot Springs, des passerelles ont été aménagées pour se promener au milieu des dépôts calcaires sans les dégrader. Ces dépôts forment des terrasses blanchâtres où l’eau s’écoule par pallier. Lorsque l'eau souterraine chargée en carbonate de calcium arrive en surface, elle relâche du CO2. Ce dégazage peut provoquer une précipitation pour former du calcaire. Le calcaire solidifié forme une sorte de barrage qui s’épaissit avec la décomposition minérale des plantes qui viennent s’y agglomérer. Ce barrage ne retient pas complètement l’eau qui profite de la porosité du calcaire pour continuer sa course… Plus loin, je découvre le Grand Prismatic Springs. C’est incontestablement l’un des joyaux du parc et son image est diffusée dans toutes les brochures des agences de voyage qui vantent les beautés du Yellowstone. C’est un bassin circulaire d’un diamètre de cent douze mètres et d’une profondeur de trente-sept mètres, composé de soufre et d'oxyde de fer et contenant de l'eau chauffée à plus de 80 °C. Sa beauté vient de ses anneaux colorés bleus, jaunes, verts, orange et rouges. La coloration s’explique par la présence d’une grande variété d’organismes thermophiles, littéralement « qui aiment la chaleur ». Ces organismes vivent, se développent et se multiplient à des températures comprises entre 50 et 70 °C. Le centre du bassin est trop chaud pour permettre leurs présences. L’eau est pure et donc de couleur bleu pour la même raison que le ciel est bleu. Par contre, l'eau du bassin se refroidit à mesure qu'elle s'éloigne de la source située au centre. Lorsque la température devient voisine de 70°C, certaines bactéries peuvent y vivre. Ce sont des cyanobactéries appelées Synechococcus qui produisent sous l’effet du soleil une pigmentation jaune. En partant du centre dont la couleur est bleue, le premier anneau formé est donc jaune. Avec la décroissance de la température, d’autres bactéries se développent : à 64°C, les Synechococcus associées aux Chloroflexus, Phormidium et Oscillatoria produisent une coloration orange ; à 55°C, une autre bactérie apparaît – la Deinococcus-Thermus – qui crée des serpentins rouge vif ou orange (5). On retrouve ces bactéries et leurs colorations associées dans Upper Geyser Basin et Morning Pool Glory, deux complexes constitués de sources chaudes aux formes et aux couleurs extrêmement variées. Parfois, des hordes entières de wapiti passent entre les geysers et les sources chaudes et des bisons solitaires paissent au bord des rivières. Quel spectacle !
Le Yellowstone avec ses deux cent geysers qui font le spectacle et ses sources d’eau chaude qui fascinent les touristes regroupe près de 62 % des phénomènes géothermiques de notre planète. Toutes ces activités géothermiques témoignent d’une activité intense en sous-sol. « N’ayant d’équivalents qu’en Islande et en Nouvelle-Zélande, celles-ci résultent de la faible épaisseur – cinq kilomètres à Yellowstone – de la coque terrestre flottant sur une tempête de laves bouillonnantes, alors que l’épaisseur moyenne de la croûte terrestre est de cinquante kilomètres dans les autres zones continentales ! (1) ». Bien qu’il n’ait pas la forme conique des volcans traditionnels, le Yellowstone est, de par sa configuration très particulière, un volcan : c’est même un super-volcan. « Actuellement, la lave continue de s'accumuler, faisant à nouveau gonfler l'écorce terrestre. Au fond de l'actuel caisson d'effondrement, l'altitude a augmenté de soixante-dix centimètres durant ces cinquante dernières années. Depuis 2004, certaines parties de la « caldeira » se sont soulevées à la vitesse de sept centimètres par an soit le rythme le plus rapide depuis le début des observations précises dans les années 1970 ». L’éruption du Yellowstone serait d’une puissance phénoménale. L’une des dernières éruptions d’un super-volcan a eu lieu, il y a environ soixante-treize mille ans, dans l’ile de Toba, en Indonésie. « Les nuages de cendres projetés dans la stratosphère auraient plongé l’ensemble du globe dans un « hiver » d’une décennie. L’atmosphère s’est assombrie, diminuant la photosynthèse des plantes et les températures terrestres. Une catastrophe écologique qui a dû affecter tous les animaux, hominidés compris (6) ». Au total, ce sont près de deux mille huit cent kilomètres cubes de roches et de cendres qui ont été projetés. Par comparaison, « l'éruption du volcan Pinatubo, au début des années 1990, n’a émis que dix kilomètres cubes de cendres et pourtant, ces cendres ont fait baisser la température moyenne de la Terre de 0,6°C, pendant deux ans (7) ».
Sur Terre, les super-volcans sont éteints, mais il y a une exception, le super-volcan du Yellowstone…

(1) L’Ouest américain Jean-Yves Montagu aux éditions du Chêne, 2013.
(2) L’expédition Lewis et Clark (de 1804 à 1806) ou expédition de Lewis et Clark est la première expédition américaine à traverser les États-Unis à terre jusqu'à la côte pacifique. Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis de 1801 à 1809, avait convaincu le Congrès d'attribuer 2 500 dollars de l'époque au projet.
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Snake_(rivi%C3%A8re)
(4) L’ouest américain – Territoires sauvages de Michel Le Buis et Olivier Grunewald aux éditions du Chêne, 1999.
(5) https://www.livescience.com/55605-what-makes-yellowstone-hot-springs-colorful.html
(6) https://www.nationalgeographic.fr/histoire/comment-les-premiers-hommes-ont-ils-survecu-a-leruption-du-super-volcan-toba
(7) http://www.astronoo.com/fr/articles/menace-supervolcans.html