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Après un mois d'hivernation...




Hivernation au pays de l'ours

30 jours dans un igloo - Pyrénées - France


Quelques notes...


        Dans cette aventure, je voulais vivre le froid, le silence et la solitude jusqu’à l’extrême. Ce n’était pas une punition mais une épreuve volontaire. J’avais opté pour un séjour d’un mois. Il fallait accumuler des jours même si c’était des jours qui paraissaient identiques car l’hivernation est "une alchimie du temps sur l’âme. C’est un processus qui ne peut-être immédiat ni même rapide(1)." Un week-end ne suffirait pas à venir à bout de ses habitudes. Passer une nuit dehors en hiver en sachant que le lendemain on retrouve un habitat chauffé à 20°C et un bain chaud ne permettait pas de se fondre à la nature sauvage, de la voir dans son intimité et de jouir de tout ce qu’elle a de merveilleux.

Une journée d'hivernation


        Tous les jours, le rituel était sensiblement le même.
        Dans l’aube lugubre, le froid m’invitait à me rendormir et ce n’est qu’après un petit temps de paresse à profiter de la chaleur du duvet que je préparais mon petit-déjeuner. Je prenais mon réchaud, ouvrais le robinet de gaz et craquais une allumette. Le réchaud se mettait à ronronner et l’eau chauffait jusqu’à ébullition. Dans l’eau bouillante, je versais une ration de ma composition: lait en poudre, carrés de chocolat, flocons d’avoine, amandes, noisettes et raisins secs. Je prenais toujours mon petit-déjeuner après avoir pris connaissance de l’humeur de la journée.
        Si dehors la tempête faisait rage, si les montagnes étaient masquées par un rideau de flocons, si la brume était épaisse à couper au couteau comme on dit ou si l’hiver mettait une note grave et austère qui gelait la mécanique de mon corps, je consacrais ma journée à la lecture et à l’écriture. C’était une journée studieuse entrecoupée de petites balades car ne pas sortir aurait fait naître en moi remords et culpabilité, et de longues observations à la jumelle du vol des craves à bec rouge ou du déplacement incessant des isards en quête de nourriture.
        Par contre, si dehors la montagne était accueillante, j’enfilais mes chaussures, mettais ma doudoune et sortais de mon abri. Mes jambes demandaient du mouvement. J’appréciais les longues marches cadencées des raquettes qui soulevaient à chaque pas des milliers de poussière d’étoiles. Ces marches étaient à la fois légères, sans destination précise, et exaltantes avec la découverte d’un monde d’une grande simplicité "où le moindre détail semblait occuper sa véritable place dans un accord harmonieux où je me fondais(2)." La période de clarté se passait à arpenter le terrain. J’explorais le vallon de la Baigt de Houer et le ravin d’Astu, les abords des lacs Castérau et Paradis, le plateau du gave de Bious et les bois qui le bordent. Rarement, j’empruntais l’itinéraire du GR10 vers le refuge d’Ayous, peut-être pour ne pas rencontrer de randonneurs. J’appréciais avant tout le silence et le recueillement qu’offrait la nature. Dans l’après-midi, j’avais pris l’habitude de visiter le petit bois situé entre les cabanes de Cap de Pount et de Lous Québottes. C’était devenu mon territoire… et celui d’un renard dont je suivais désespérément les traces sans jamais l’apercevoir. Ses pattes s’étaient imprimées sur la croûte de neige. Sans doute était-il à la recherche d’une perdrix et de quelques autres gibiers. Je tentais de voir par ses yeux et d’imaginer les endroits où pouvaient se cacher ses proies. J’imaginais qu’il m’avait vu et qu’il glapissait quelques malédictions à mon encontre…
        Tous les jours, je scrutais les paysages, je suivais les traces, j’endurais le froid sans certitude d’un résultat. Je me contentais de ce monde et je jouissais pleinement de tout ce qu’il m’offrait même si ce n’était qu’à l’état de traces…
        Le reste du temps, je le consacrais aux tâches quotidiennes: la principale était d’aller chercher de l’eau et de m’alimenter même si la variété que j’apportais à mon régime alimentaire était toute relative. Pour lutter contre la rigueur de l’hiver, une bonne hygiène était tout aussi nécessaire. Parfois, je baissais culotte et je me lavais à l’eau du torrent. Mais bien que le bain m’apportât le plaisir de me sentir propre, en dépit de l’eau glacé, je comprenais rapidement qu’en faire une habitude quotidienne ne serait pas possible tant l’exercice demandait force mentale. Alors, dès que j’avais la désagréable sensation de macérer dans mes vêtements et même si personne ne pouvait s’offusquer de l’odeur désagréable que je dégageais, je baissais à nouveau culotte.
        Chaque fin d’après-midi, je m’occupais de l’igloo qui n’était malheureusement pas à moi aussi longtemps qu’il me plairait de l’habiter. Si le soleil se montrait trop généreux et si l’isotherme décidait de prendre de l’altitude, il pourrait disparaître… Alors, je le couvrais d’une couche de neige que la nuit se chargeait de geler. Une fois les menues tâches effectuées, je me plaisais à regarder la lumière s’obscurcir puis disparaître progressivement. Le froid devenait plus intense. À ce moment-là, plus que jamais, j’aurai apprécié le spectacle son et lumière du bois qui brûle dans la cheminée avec son crépitement sec et ses braises rougeoyantes qui réchauffent le corps et apaisent l’esprit. Mais je devais oublier le bien-être que procure le feu et me contenter de la flamme dansante d’une bougie.
Dans le crépuscule lugubre, le froid m’invitait à rejoindre rapidement mon duvet.

(1)"Compostelle malgré moi, Immortelle randonnée" de Jean-Christophe Rufin aux éditions Guerin
(2)"Il suffit d’y croire" de Laurence Ink aux éditions Robert Laffont