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Le Far-West bolivien et ses hauts sommets


Le Far-West bolivien est le royaume de la haute altitude qui renferme d’extraordinaires joyaux: le lac Titicaca, le plus haut lac navigable du monde, berceau de la civilisation Tiwanaku ; le salar d’Uyuni, la plus grande étendue de sel au monde, royaume des lacs multicolores ; les discrètes cordillères Apolobamba, Quimsa Cruz et Lipez ; et puis bien sûr, la cordillère Royale! Son nom évocateur suffit à attirer les convoitises des randonneurs et des alpinistes… J’ai sillonné cette cordillère pendant trois mois et gravi quelques-uns de ses plus hauts sommets avant de me rendre dans la cordillère Occidentale qui abrite de magnifiques volcans couverts de glace et à la silhouette parfaite !



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Liste des sommets gravis

Illampu (6 368 m)
Pic Schulz (5 943 m)
Gorra de Hielo (5 740 m)
Pic del Norte (6 070 m)
Ancohuma (6 427 m)
Chachacomani (6 074 m)
Chearoco (6 127 m)
Janq'U Uyu (5 515 m)
Pach'a Pata (5 650 m)
Traversée du Pach'a Pata
Pyramide Blanche (5 230 m)
Pic Tarija (5 240 m)
Pequeno Alpamayo (5 410 m)
Tête du Condor (5 648 m)
Aile droite du Condor (5 480 m)
Huayna Potosi (6 088 m), voie normale
Huayna Potosi (6 088 m), voie des Français
Huayna Potosi (6 088 m), face ouest
Mururata (5 775 m), voie normale
Mururata (5 775 m), face sud
Illimani (6 439 m), voie normale
Layka Khollu (6 159 m)
Traversée intégrale de l'Illimani
Illimani (6 439 m), face sud, voie Espiritu del condor Gigante

Niveau

IV, TD, 65 à 70°
D, 55°, IV rocher
IV, D+, 80°, V rocher
IV, TD, 80°, IV-V rocher
IV, AD, 55°
III, PD, 40° à 45°
III, TD, 65° à 70°
I, F, 40°
III, AD+ ou D, 55°, III à IV
III, AD, 65° à 70°
II, AD, 45°
PD, 45°
II, AD, 45° à 50°
III, D, 70°
II, AD-, 45°
III, TD, 80°
II, AD+, 55° à 60°
II, D, 65° à 70°
IV, TD, 80°
IV, D, IV-V rocher
II, AD+, 50° à 55°
II, PD, 40°
IV, TD, 70°
IV, TD+, max 90°, VI rocher

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Tout commence à La Paz, porte d’entrée de la Bolivie pour beaucoup de touristes étrangers mais aussi porte d’entrée du royaume d’altitude puisque l’aéroport El Alto est le plus haut aéroport international du monde avec ses 4 061 m d'altitude. Généralement, le corps n’apprécie guère un débarquement si haut et réclame du temps pour s’adapter à la baisse de pression. Je consacre donc les premiers jours à la découverte de la ville, d’un pas lent… @Vincent Kronental
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Je me plais à déambuler dans les marchés traditionnels qui laissent éclater des couleurs chatoyantes. Au milieu des fruits et des légumes, les couvertures et les vêtements colorés, les bijoux et les pierres précieuses ou encore les amulettes en tout genre et les fœtus de lamas rappellent la propension des boliviens à faire des offrandes à la Pachamama, la déesse de la Terre et de la fertilité.
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Cérémonie avec un yatiri avant de partir dans les montagnes@Vincent Kronental
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Après la cérémonie, mon aventure andine peut commencer. Je me rends à Sorata, petit village blotti à 2 677 m, à l’extrême nord-ouest de la cordillère Royale.
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Dès les premiers jours, on découvre les sommets enneigés des grands « 6000 » de la cordillère Royale : ici, le pico del Norte qui culmine à 6070 m d’altitude.
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Les camélidés sont omniprésents dans la cordillère.
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L'Illampu (6368 m) tel qu'il apparaît en gravissant sur les derniers mètres enneigés du pico Schulze (5943 m) @Sergio Condori
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Les glaciers qui alimentent le lac Glaciar @Anne Bialek
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Je descends vers le village minier de Cocoyo (3 495 m), situé au fond d’une vallée verdoyante. Soudain, retentissent des détonations. En cette saison, avant la période des semences, hommes et femmes travaillent durement dans la mine Candelaria située juste au-dessus du village si bien que lorsque je le traverse, il n’y a pas âme qui vive.
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Ce mineur chique des feuilles de coca auxquelles il attribue des vertus curatives. La première fois que j’ai essayé d’en chiquer une, c’était en Argentine avec mon ami José. Je l’ai recraché aussitôt. La deuxième fois, j’ai fait preuve de plus d’application et de persévérance. Je l’ai mâchouillé pendant quelques minutes puis j’ai abandonné. Cette fois-ci, je ne chique pas et je consomme les feuilles en infusion. Ma potion magique, c’est le trimaté, un mélange de fleurs de manzanilla, d’anis et de feuilles de coca. Cette infusion est soi-disant idéale pour traiter les bouleversements digestifs et pour lutter contre les effets de l’altitude. Sa consommation régulière et le respect de quelques règles élémentaires ont fait que je n’ai pas trop ressenti le sorroche au cours de cette première semaine de marche@Arnaud Trognée.
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Franchissement du col de Sarani (4 520 m) en longeant le massif de l’Umajalanta puis descente jusqu’au hameau de Chajolpaya (4 090 m). Tout près d’une maison, un paysan m'interpelle. Il a une joue boursouflée par la feuille de coca qu’il chique. Il me propose différentes variétés de patates. Puis, sa fille se précipite à son tour avec une panoplie des incontournables llu’chus, ces bonnets andins qui couvrent les oreilles... Je repars avec quelques patates dans mon sac et un llu'chu sur la tête!
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Camp d’altitude au pied du pic Nord (6 070 m) et du Gorra de Hielo(5 740 m)@Anne Bialek
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Au sommet du Gorra de Hielo(5 740 m)@Ignacio Pacajes
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Crête dentelée de l’Illampu (6 368 m) et du pic Schulz (5 943m) depuis le glacier de l’Ancohuma@Anne Bialek
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Franchissement d'une crevasse@Sergio Ulo
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Au matin du 6ème jour, le soleil éclaire l’énorme sommet du Chachacomani (6074 m) d’une lumière douce.
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Le bivouac est un havre de paix pour recouvrer quelques forces. Jusqu'à présent, mon organisme a plutôt bien réagi à l’altitude et l’ensemble des petites cellules qui le constituent ne semblent pas souffrir d’hypoxie...
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Aujourd’hui, nous franchissons le col le plus élevé de notre traversée, le paso Mullu, situé à 5 040 m d’altitude, entre les montagnes Janq’u Uyu (5 515 m) et Wila Lluxita (5 244 m). Là-haut, comme le veut la tradition, chacun y va de sa petite offrande à la Pachamama.
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La descente vers la merveilleuse vallée du lac Janq’u Quta.
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Le sentier surplombe les eaux turquoises du lac Quta Thiya.
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Les abords du lac Janq’u Quta.
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Arrivée au sommet du Chachacomani (6074 m)@Cecilio Daza.
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Sur la crête du Chearoco (6 127 m)@Juvenal Condori.
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Au sommet du Janq’u Uyu (5 515 m)@Jérôme Benassi.
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En fin d’après-midi, nous rejoignons le massif du Condoriri, un jardin féérique où culminent une douzaine de sommets enneigés qui ont allumé une étincelle dans mes yeux d’alpiniste occasionnel : la Tête du Condor (5 648 m) qui avec ses deux sommets adjacents, l’Aile Droite (5 480 m) et l’Aile Gauche (5 560 m) prend la forme d’un condor aux ailes repliées, les impressionnantes parois rocheuses du pic Wyoming (5 420 m) et le magnifique pic élancé du Pequeño Alpamayo (5 410 m) sont les plus réputés. Pour parfaire notre acclimatation, nous gravissons d’abord quelques sommets faciles qui offrent de belles vues sur l’ensemble du massif du Condoriri. D’abord, le pic Austria (5 328 m) et ensuite, la Pyramide Blanche (5 230 m).
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L’objectif suivant est le Pequeño Alpamayo (5 410 m). C’est le sommet le plus couru par sa voie normale. Son image est placardée dans toutes les vitrines des agences de trekking situées à La Paz. L’ascension, peu difficile et intéressante, est à recommander car le pic est un excellent belvédère. Nous choisissons de le gravir par la voie royale, la « directissime », une paroi de neige et de glace de deux cent cinquante mètres inclinées à 70 degrés. Le premier obstacle est la rimaye. Un pont de neige facilite son franchissement. Ensuite, nous attaquons la voie : les coups de piolets et de crampons scandent le rythme de notre progression…
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Après la traversée d’un glacier très crevassé et quelques passages d’escalade délicats et aériens, je me retrouve sur le fil de l´arête de la Tête du Condor dont le point culminant est à 5 648 m. Tout là-haut, on a l´impression d’être ailleurs, « dans un espace qui n´est plus la terre et pas tout à fait le ciel… ».
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Je traverse d’abord la mine désaffectée de Milluni qui, à son apogée, faisait travailler plus de cinq mille mineurs. Des traînées bigarrées ourlent les abords des cours d’eau et le lac Jankho Khota. Je m’échine à gravir ensuite une montagne en plein soleil. Avec l’altitude, la végétation se fait de plus en plus clairsemée. Au sommet, le cerro Tajtla Willkhi (5 124 m) n’est que poudre et cendre. Plus loin, dans l’échancrure d’un col, j’aperçois, en contrebas, le canal d’irrigation qui doit me mener devant l’impressionnante face ouest du Huayna Potosi. Parvenu au pied de la face, je contemple le glacier qui dégueule ses séracs par-dessus une impressionnante paroi verticale. Une étincelle s’allume et je me dis que je reviendrai. Je poursuis mon itinéraire. Le soleil me brûle la peau et surtout, le sac me cisaille le dos. Toute la journée, j’apprends à vivre avec cette douleur alors que je me serais bien passé de ce rappel à l’ordre corporel. Deux lamas isolés m’emboîtent le pas. Le lama est parfois utilisé comme animal de bât même si la charge qu’il supporte se limite à vingt kilogrammes. J’ai bien envie de leur proposer mon sac mais je n’ai rien à leur offrir en retour et j’ai bien peur qu’il se sente agresser et qu’il me crache au visage ! Après bien des efforts, je parviens enfin au sommet de l’Imilla Apacheta (5 184 m). Les dernières lueurs du jour s’éteignent alors que j’installe ma tente sur un petit replat, juste sous le cairn sommital. Quelle vue ! Face à moi, se dresse la plus belle face du Huayna Potosi et derrière moi, la vue porte loin sur l’Altiplano et le lac Titicaca, nimbés d’une lumière douce et caressante. Sous la tente, j’enfile mon drap en soie, mon sac de couchage et ma couverture de survie : 5 184 m au cœur de l’hiver austral, c’est du sérieux !
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Village de Totoral Pampa.
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Un abri, un enclos, du bétail... c'est tout ce que possèdent les habitants du village
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Feliciana de Totoral Pampa
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Ana et Mirabel du village de Tuni@Arnaud Trognée
Totoral Pampa est un village méconnu qui se trouve dans une vallée coincée entre deux colosses de la cordillère Royale : d’un côté, le Murarata, littéralement le « décapité » du haut de ses 5 864 m et de l’autre, le seigneur de la cordillère, celui qui domine de ses neiges éternelles, la ville de La Paz, le fameux Nevado Illimani qui culmine à 6 462 m. Cette vallée ne doit recevoir que rarement visite. Pourtant, je suis sûr qu’elle renferme des trésors… Je regagne La Paz puis traverse une région d’éminences rocheuses où se trouvent la vallée de la Lune et la Muela del Diablo, un étrange labyrinthe de canyons et de pitons taillés dans le flanc d’une colline. Puis, j’emprunte la route pittoresque qui plonge vers le canyon de Palca. Les paysages ressemblent à s’y méprendre à certains parcs de l’ouest américain avec ses formations rocheuses colorées. Au loin, étincellent dans les airs les glaciers de l’Illimani. Tout au long du trajet, nous apercevons quelques troupeaux de lamas et de moutons, nous traversons des villages avec leurs maisons en adobe, nous admirons le courage des laboureurs qui tracent leur sillon derrière des paires de bœufs puis nous atteignons le col de Pacuani, à 4 524 mètres. Le village de Totoral Pampa se trouve quelques kilomètres plus bas, à 4 037 mètres. J’y parviens lorsque les dernières lueurs du jour s’éteignent. Je souhaite installer ma tente dans la cour d’une maison afin de mieux appréhender le quotidien des habitants de la vallée. Les villageois ne me reçoivent jamais avec empressement, mais ils ne me rejettent pas non plus. La communication est difficile car ils parlent uniquement l’Aymara, une langue qui m’est totalement inconnue. De temps en temps, il s’échange un mot, un sourire, un geste. Ce sont là nos conversations. Après plusieurs tentatives infructueuses, je rencontre Pablo. Ensommeillé, passablement inexpressif, il n’est pas d’une vivacité éblouissante mais il parle espagnol ! Même s’il ne comprend pas mon intérêt de dormir dans sa cour, il accepte finalement ma proposition. Je plante ma tente.
Tous les jours, je vais me promener dans les montagnes environnantes, poussé par cette sensation grisante d’être un peu un pionnier du trekking dans la région. Le premier jour, la mise en jambe est facile et permet de visiter les eaux tranquilles du lac Arteza Khota, la mine de Bolsa Negra et le village de Tres Rios. Les deux jours suivants, je monte plus haut, tout d’abord vers le lac Arkhata (4 928 m) au pied du Murarata (5 864 m) puis vers le lac Tijrac Khota (4 795 m) au pied du seigneur des lieux, le magnifique Illimani couvert de glace.
Tous les jours, en fin d’après-midi, après ma ration quotidienne de dénivelé, je me plais à lambiner dans les rues du village, à la rencontre des autochtones. Les indigènes m’observent toujours, m’ignorent parfois et me parlent rarement. Avec un peu de patience, ce sont les enfants qui les premiers se sont montrés les plus attentifs et les plus chaleureux. Il faut dire que j’avais amené des cahiers et des crayons de couleurs pensant qu’ils leur feraient plus de bien que quelques gourmandises. Et, tour à tour, Rosa, Feliciano, Ronal, Rosmeri, Graciela, Ernan, Blanca et Alvaro, âgés de six à neuf ans, m’ont gratifié de magnifiques dessins. Leur sourire et leur enthousiasme ont été un déclic qui aura permis de briser un peu l’hospitalité frugale des indigènes et d’entamer quelques discussions. J’ai appris que la vie était difficile dans le village en raison de l’altitude élevée et du climat rude. Les activités sont essentiellement pastorales. La famille de Pablo possède quelques vaches, des moutons et près de deux cent lamas. Le lama, à la toison laineuse abondante, s’adapte particulièrement bien à ces hautes terres et à son climat qui lui offrent pourtant une alimentation peu variée. Il est à la fois un moyen de transport et un moyen de subsistance fournissant laine et viande. Ses déjections sont même utilisées comme combustible. Pablo va jusqu’à me louer les vertus curatives de l’urine de lama contre le diabète. Mais, la reine incontestée de l’Altiplano est la pomme de terre. Chaque village ou presque produit une pomme de terre d’espèce différente. Il m’explique la préparation du chuño. Les pommes de terre sont étalées sur le sol et gèlent pendant une ou deux nuits. Pendant cette phase de congélation, l’eau quitte le cœur du tubercule pour se concentrer près de sa peau. Aux premiers rayons de soleil, la glace redevient eau. Les pommes de terre sont alors foulées aux pieds pour extraire cette eau. Mises à sécher pendant plusieurs semaines, elles sont régulièrement retournées et conservées pendant des années. Une autre variante est la tunta, moins amère que le chuño, qui s’obtient en plongeant les pommes de terre transformées en chuño dans un puits pendant quinze à vingt jours. En les faisant sécher, les tubercules prendront une couleur blanche. Chuño, tunta et viande de lama… je ne garderai pas un souvenir impérissable des variétés culinaires locales!
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Je termine mon aventure andine dans la cordillère Royale par l’ascension de l’Illimani et son légendaire pic Sud qui culmine à 6 462 m. C’est une photo qui m’avait donné l’irrésistible désir de gravir ce sommet. Lors de mes séjours à La Paz, mon premier regard se posait sur lui, sur sa longue arête, sur ses neiges éternelles. Je l’observais, je le désirais…
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Et puis, un jour, j’ai décidé d’aligner mon désir et mes actes et j’ai foulé le sommet de cette magnifique montagne couverte de miroirs de glace, de séracs suspendus et de crevasses.
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Bivouac sur la crête de l'Illimani (6 439 m)@Sergio Condori