Préface de Nicolas Vanier
Pourquoi partir seul dans la montagne hiverner trente jours dans un igloo en 2021 ? c’est légitimement la question que l’on se pose en prenant pour la première fois dans ses mains l’ouvrage de Patrick Espel ; c’est aussi celle à laquelle l’auteur répond dès les premières lignes, sans mièvrerie aucune. Comme si Patrick Espel voulait d’emblée dissiper un malentendu : non il ne cherche pas l’exploit, il n’est pas un héros bravant le froid et les éléments, juste un amoureux des montagnes dont il connaît les paysages qu’il arpente par tous temps, en toutes saisons depuis si longtemps déjà mais qu’il redécouvre à chaque fois.
C’est de cette magie-là, de cet émerveillement sans cesse renouvelé devant toutes les forces vives de la nature sauvage qu’il entend s’approcher encore plus intimement. « Construire son igloo » ce pourrait être aussi l’expression d’un rite initiatique, celui autour duquel Patrick Espel justifierait cette retraite hivernale pour lui donner un sens spirituellement admirable… mais non pas le moindre subterfuge qui laisserait croire au lecteur que Patrick ait l’envie de mener un destin hors du commun. Au contraire, on perçoit l’insatiable quête d’authenticité de l’auteur, celle qui lui permet de se délester de tout ce qui est susceptible d’interférer dans sa relation à son environnement, de brider sa liberté, d’influer son rapport au temps.
La conscience du temps, le temps qui passe, le temps qui reste ? C’est celui du temps en suspens, sans contrainte, sans limite, que Patrick Espel a justement choisi d’expérimenter, en pleine conscience, en solitaire pour ancrer son être tout entier dans le moment présent. Je souscris pleinement à cette conception du voyage, c’est celle qui m’a guidé et mené à traverser durant des mois parfois même des années les pays du Grand Blanc, celle qui m’inspire à chaque fois que l’on évoque cette liberté retrouvée une maxime que j’ai fait mienne « On ne perd vraiment que le temps perdu en chemin ».
En lisant Patrick Espel, on se prend comme lui à rêver d’un monde où l’homme accepterait de n’être que de passage…comme l’empreinte éphémère de ses pas dans la neige quand il sillonne ses montagnes avec pour seuls
artifices un appareil photo, un bloc-notes et son âme de poète pour témoigner de l’agilité de l’isard, de la blancheur immaculée d’un lagopède, des flocons virevoltant au gré du vent et du grand silence du paradis blanc.
Comment ne pas s’émouvoir avec lui de la fragilité de ce monde, ou plutôt, du fragile équilibre que l’homme interventionniste multirécidiviste met en péril et dont il sera le plus certainement du monde la principale victime. C’est aussi le message que porte Patrick Espel dans cet ouvrage aussi richement illustré que scientifiquement documenté. Car l’auteur ne veut pas faire du récit de la construction d’un igloo et de son hivernage dans les montagnes sauvages des Pyrénées la seule mise en scène d’un mois vécu par choix dans la solitude, la sobriété et le dénuement, ni se répandre en considérations intimes.
Ses pérégrinations et ses rencontres sauvages sont aussi le prétexte à nous alerter sur l’altération des conditions de vie de nombreuses espèces pyrénéennes quand l’on se préoccupe davantage d’espèces menacées emblématiques comme les éléphants et les ours polaires. Ce faisant, il remet en perspective l’urgence de considérer prioritaire la biodiversité dans son entièreté. Il nous interpelle sur notre rapport au vivant, nous rappelant très justement que l’homme en fait partie, que sa qualité de vie et sa survie même en dépendent.
Le récit est sincère, sensible, nourri du regard scientifique de Patrick Espel et de l’expertise de spécialistes de la biodiversité pour apporter des éléments de connaissance sur la faune des Pyrénées dont la préservation, il le rappelle à plusieurs reprises, incombe à chacun d’entre nous. Il nous invite ainsi à nous concentrer sur l’essentiel et à questionner notre manière d’habiter le monde. Car il serait indécent vis-à-vis de nos enfants de penser qu’il est trop tard pour agir et irresponsable de croire en la toute-puissance de la technologie pour résoudre les problèmes… Un plaidoyer contre l’immobilisme. Inspirant !