Mélanie Némoz
Le Desman des Pyrénées
J’ai une formation d’ingénieur agronome, mais dès mon plus jeune âge j’ai été fascinée par l’étude du comportement animal et la préservation des espèces. C’est donc avec passion que je me suis consacrée à la connaissance des chiroptères et la mise en œuvre de programmes de conservation sur ces espèces lors de mes premiers pas professionnels. Le Desman a suivi quelques années plus tard… Étant originaire des Alpes, je n’avais à vrai dire jamais entendu parler de ce petit mammifère qui est une espèce endémique des Pyrénées. J’ai en quelque sorte fait sa connaissance quand je suis arrivée dans la région toulousaine, à l’âge de 20 ans. Dans le cadre d’une mission, j’ai eu l’opportunité rare de pouvoir l’observer plusieurs jours de suite dans un petit cours d’eau de la vallée des Aldudes au Pays basque. Je garde une vive émotion de ces instants et le souvenir intact de l’euphorie que cela a provoqué dans notre petit groupe de naturalistes. Le « Rat trompette » avait éveillé toute ma curiosité ! Mais c’est le hasard de la vie qui m’a amenée à m’y consacrer professionnellement. Initialement recrutée au CEN Occitanie pour travailler sur les chiroptères, c’est un concours de circonstances qui m’a amenée à remplacer la personne initialement identifiée pour monter le premier Plan national d’actions en faveur de l’espèce.
Le Desman est un animal très discret, difficile à observer. Il est de petite taille (environ la grosseur d’un poing d’adulte), il évolue avec une vitesse incroyable dans l’eau et souvent dans les zones de plus fort courant. Ses gîtes sont des anfractuosités dans la berge avec un accès aquatique… Notre mission première revient donc à rendre perceptible l’invisible !
Comme pour beaucoup d’autres mammifères, nous nous intéressons donc aux indices de présence laissés par l’animal et plus spécifiquement à ses crottes, aussi appelées « fèces ». Ce sont de petits tortillons d’environ 1,5cm de long, plutôt sombres, présentant une légère odeur de miel et de poisson, que le Desman dépose sur les pierres affleurantes du cours d’eau ou dans les anfractuosités des berges. Le protocole de mise en évidence de présence de l’espèce et d’étude de l’évolution de son aire de répartition est donc basé sur la prospection de tronçons de cours d’eau à la recherche de fèces.
En fonction de la question scientifique posée, des moyens financiers et humains alloués, des périodes de l’année… d’autres protocoles ont été élaborés et sont mobilisés. Il peut s’agir d’analyses génétiques qui permettent de confirmer l’espèce à partir des fèces, d’identifier les individus ou d’analyser leur régime alimentaire. Cette dernière analyse est possible grâce à l’étude de l’ADN des restes de proies contenues dans les fèces par la technique dite du « metabarcoding ». Pour rappel, chaque individu, chaque plante, chaque algue, a une signature génétique unique, déterminée par son ADN. Certains fragments d’ADN sont très conservés au sein d’une même espèce et variables entre les espèces. Ce sont les marqueurs génétiques ou barcodes. Le « metabarcoding » permet d’amplifier l’ADN d’un échantillon de fèces, de le séquencer et de comparer les séquences obtenues à des bases de référence internationale, et ainsi d’identifer toutes les espèces présents dans un échantillon. C’est une nouvelle façon d’analyser le régime alimentaire du Desman, totalement non invasive.
Les captures permettent d’étudier plus finement une population (âge et sexe des individus) mais aussi d’équiper les individus d’émetteurs VHF (abréviation de l'anglais « Very High Frequencies », utilisée pour désigner les fréquences comprises entre 30 et 300 MHz) qui permettent ensuite de suivre en permanence et à distance leurs déplacements et leurs activités. Des tunnels à fèces sont parfois disposés pour optimiser les chances de récolte des précieux indices. Ces tunnels artificiels imitent les zones classiques que le Desman affectionne pour déposer ses crottes et permettent de les conserver plus longtemps en les protégeant des intempéries. L’imagination des experts n’a d’égale que la discrétion de notre animal !
Le Desman des Pyrénées est inféodé au milieu aquatique. Il peuple les cours d’eau et certains lacs d’altitude des Pyrénées et du nord-ouest de la péninsule ibérique. En France, on l’observe rarement en-dessous de 450 m et au-dessus de 2 700 m. Il est insectivore et se nourrit essentiellement de larves d’invertébrés benthiques : les invertébrés benthiques sont des organismes sans colonne vertébrale et visibles à l’œil nu (comme les insectes, les mollusques, les crustacés et les vers) qui habitent le fond des cours d’eau et des lacs. Toutes les activités susceptibles d’altérer ses habitats et/ou sa ressource alimentaire représentent donc une menace potentielle pour lui. Les plus connues sont l’artificialisation du débit des cours d’eau (production d’hydroélectricité, soutien d’étiage pour l’agriculture...), les ruptures de continuité du lit des cours d’eau (barrages, routes...), la destruction et l’artificialisation des berges (bétonnage) et la pollution de l’eau. À cela s’ajoute la mortalité causée par certaines espèces domestiques comme le Chat ou des espèces exotiques envahissantes comme le Vison d’Amérique. Enfin le changement climatique modifie probablement les conditions d’habitats de l’espèce même si cet impact sur le Desman est encore peu étudié.
Le Desman des Pyrénées@GérardMonge
C’est donc une multitude de menaces qui s’additionnent et pèsent sur l’espèce. Elles sont la cause probable de la forte diminution de son aire de répartition constatée au cours de ces 25 dernières années. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a d’ailleurs classé récemment (2021) l’espèce « En Danger », ce qui signifie qu’elle est confrontée à un risque très élevé d’extinction à l’état sauvage.
Pour protéger le Desman et éviter sa disparition, trois programmes de conservation se sont succédés depuis 2010 : le premier Plan national d’actions en faveur du desman des Pyrénées (2010-2015), le projet LIFE+Desman (2014-2020) puis le deuxième Plan national d’actions en faveur du Desman (2021-2030). Il s’agit de programmes ambitieux, mobilisant l’ensemble des experts et acteurs de la conservation du Desman. Ils permettent la mise en œuvre d’actions d’acquisition de connaissances sur l’écologie et la biologie de l’espèce, d’actions concrètes d’amélioration de ses habitats, d’actions d’information et de formation des acteurs de l’eau afin d’améliorer la prise en compte de l’espèce, et d’actions de sensibilisation du grand public.
Ces programmes ont amené naturellement à s’intéresser à une multitude d’autres espèces. La Loutre, le Cincle plongeur, la Musaraigne aquatique ou encore l’Écrevisse à pattes blanches partagent le même écosystème que le Desman. Les actions mises en œuvre pour la sauvegarde du Desman sont donc bénéfiques à de nombreuses autres espèces : le Desman est une espèce parapluie.
Avec un peu de recul et vingt années d’expérience à essayer de convaincre les gens de l’importance de préserver les espèces animales, je pense que plus que les mots, ce sont les émotions qui peuvent les amener à avoir envie, profondément, de préserver la Nature. Un lieu familier qui les touche, un habitat qui les émerveille, une espèce qui les interpelle… J’invite donc tout un chacun à passer du temps dans un lieu de nature et à être attentif au bien être que cela procure, aux sensations que cela éveille.
Parallèlement bien sûr, c’est la compréhension de la fragilité de certaines espèces, de leur écologie, de leur biologie, des équilibres naturels, des écosystèmes qui peut donner envie au grand public d’être acteur de la protection de la nature.
La connaissance et les émotions me semblent deux clés incontournables. Alors… Lisez, visionnez, écoutez toutes les ressources disponibles sur la Nature et les espèces formidables qui nous entourent, et… émotionnez-vous !